samedi 21 avril 2012

Bienvenue à bord. Je ne vous promets rien.


Mon amie Julie est cinéaste. Il y a quelques années, elle était partie pour la Mongolie, pour un séjour de trois mois pendant lequel elle effectuerait un documentaire (que j’ai d’ailleurs un peu honte d’avouer, à ce jour, n’avoir jamais vu). Je suis plutôt une voyageuse hors-des-sentiers-battus moi-même mais je me souviens être restée un peu perplexe quant au choix de la destination. La Mongolie. Qu’est-ce qu’il y a, en Mongolie? Des petits chevaux pis des chevelus à longues dents style Gengis Khan?... Dans ma tête, la Mongolie = rien. Pas d’image romantique. Pas de référence historique. Même pas une vision édulcorée d’un début de quelque chose glané à travers le menu et la décoration quétaine d’un resto underground du Plateau. Pour moi, la Mongolie et le Turkmenistan, même combat. Silence radio. Aucune vibration sur ma fibre voyageuse.

Pourtant, je me souviens aussi très clairement de l’enthousiasme de Julie à son retour. Un voyage MA-GNI-FI-QUE!, qu’elle a dit. Le plus beau de toute sa vie, qu’elle a dit. TRANS-FOR-MÉE!, qu’elle était. Et moi, de hausser toujours le même sourcil dubitatif. Ben coudonc...

J’ai toujours voulu avoir des enfants. Chéri et moi essayions depuis plusieurs années, sans trop de résultats. Début 2012, j’apprenais que j’étais enceinte et, vu le temps que ç’avait pris, mon enthousiasme débordant me poussait irrésistiblement à le crier sur tous les toîts. Voire même à louer un panneau sur l’autoroute Ville-Marie pour être certaine que personne ne rate la nouvelle.  J’ai lu les livres, bu les tisanes, marché comme ceci, respiré comme ça, pratiqué les positions de yoga qui visaient à préparer psychologiquement mon périnée à l’aventure et mon âme à la maternité…  Name it. Passé mes échos, au privé, pour voir plus clair : beau ti-bébé parfait! Passé mon préna-test avec (et je cite l’infirmière au téléphone) « de très beaux résultats! Des statistiques dignes d’une jeune fille de 18 ans! ».

Je me suis bien fait tirer la pipe : à l’automne 2011, juste avant de « concevoir », j’avais décidé de partir en Chine, toute seule, avec mon sac-à-dos et un vocabulaire de 28 mots qu’aucun Chinois n’a jamais compris à cause de l’accent. Alors tout le monde qui apprenait que j’étais FINALEMENT enceinte me félicitait pour mon futur bébé aux yeux bridés. Ha ha. (Pour les paparazzi, je précise : bébé est le résultat de la brosse du Nouvel An à Punta Cana et non de batifolage avec un panda dans une rizière en octobre, merci beaucoup).

Par un beau matin de septembre, Marianne est née. Grossesse parfaite, accouchement exemplaire, APGAR de 9, bébé top shape et aussi merveilleusement moche que tous les bébés naissants, maman un peu puckée mais qui tient la route. Pour les autographes, adressez-vous à mon agent. Le lendemain, le pédiatre fait son inspection de routine, vire mon bébé de tous les bords puis fronce un sourcil. « Est-ce que votre mari est Québécois? » Euh… oui. « Pure laine? » Euh… oui. « Vous êtes certaine? » Ben là. Je n’ai pas remonté son arbre généalogique jusqu’à Samuel de Champlain mais me semble que oui. « Ah bon.» Il s’en va. Le lendemain, avant de nous donner congé de l’hôpital, même petit jeu. « Est-ce que votre mari est Québécois? » OUI, bon. Pure laine 100% ceinture fléchée. « Je vais faire des prises de sang. Je suis presque certain qu’il n’y a rien mais je veux écarter la possibilité d’une anomalie génétique ».

?????

Mon bébé avait les yeux bridés.
Sans blague.
Un petit pli de rien, insignifiant, sous les yeux.
Il avait par ailleurs tout le reste normal, à part des oreilles pliées à 90 degrés du crâne à la Yoda (mais ça, c’est ce qui arrive quand on est pressé de sortir et que la porte est étroite… je vous épargnerai par ailleurs la visite guidée de mon anatomie…).

Bon, que je me dis. Pas de panique. Selon mes mini-notions de bio d’un lointain DEC en Sciences Pures, les gènes, ça s’ébouriffe tout le temps un peu. On a tous une petite anomalie par-ci par-là. Le bébé est en parfaite santé et rien n’est ressorti aux tests prénataux : ça ne peut pas être bien grave. Concentrons-nous plutôt sur Bébé 101 : couches, lait et compagnie. « Je vous appellerai dans une dizaine de jours avec les résultats », que le pédiatre avait dit.

Parlé à ma grande amie médecin qui me dit que le pédiatre capote : elle me passe son petit questionnaire au téléphone et, comme mon bébé ne présente aucun des symptômes décrits et qu’en plus, d’après les photos que je lui ai envoyées, ma puce a l’air parfaitement parfaite, je ne dois vraiment pas m’inquiéter. Même écho de l’infirmière en chef qui m’a accouchée et qui me fait une face qui veut dire « Bon! Il a encore pris le champ, le pédiatre! » quand je lui raconte qu’on doit faire des prises de sang because peut-être anomalie-machin.

Alors on rentre à la maison et on chatouille et on gazouille et on ne dort pas beaucoup et on minouche et on allaite tant bien que mal et on s’émerveille, de même que parents et amis, devant cette merveilleuse et ravissante petite boule de vie. Et on vire aussi gaga que dans les livres.

Dix jours plus tard, le cellulaire sonne. C’est une infirmière. « Le pédiatre veut vous voir demain matin. Avec votre mari.» On vient d’arriver au chalet. Demain matin, c’est samedi. « Euh… Il m’avait dit qu’il me donnerait les résultats au téléphone…». Malaise au bout du fil. « Non, madame, certains médecins ne veulent donner ni les bons, ni les moins bons résultats au téléphone. Il faut venir ». Et ma paume de devenir moite… froide et moite. Bullshit. S’il n’y avait rien, je suis sûre qu’il m’aurait appelée lui-même. Remet les sacs pas défaits dans l’auto. Rembarque la petite. Une heure et demie sur la 20 en silence, avec des larmes qui coulent d’un débit on-ne-peut-plus régulier. Et un petit bonhomme invisible perché sur mon épaule qui me sussurre à l’oreille « Party is over, dear! » Et je me sens ô! combien stupide d'avoir été heureuse pendant 10 jours...

Nuit longue et blanche et noire.
Salle d’attente d’hôpital. Le pédiatre se pointe. On passe les premiers. Courtoisie qui me semble de très mauvais augure…

« Blablabla… comment ça va… »

« … »

« Blabla bla… gants blancs, pincettes et… trisomie 21.»

Bang.
C’est subtil comme un coup de pelle dans la face.
Je tiens mon bébé dans mes bras et j’ai l’impression que je tiens une poupée. Que ce n’est pas un vrai bébé, après tout. Il n'y a rien de vrai. Mes neurones s’envoient des messages complètement surréalistes les uns aux autres. Je sais que c’est à moi de parler mais j’ai oublié mon texte. Blanc de mémoire. Souffleur, allo? Gros, gros vide.

Pendant ce temps-là, le pédiatre raconte quelque chose à propos des enfants trisomiques qui sont merveilleux et qui savent chanter et danser et sont très attachants et que Jésus-va-prendre-soin-de-nous… Acouphène, vertige, nausée. Je suis étourdie comme quand quelqu’un te braque une flashlight dans les yeux la nuit. J’ai mal partout.

Trisomie 21. Ma fille est mongole.
Et, out of the blue, je pense à Julie qui me dit “La Mongolie, c’est mon plus beau voyage à vie! » et je trouve la vie vraiment sadique de me faire jouer ce petit souvenir par association kitscho-morale qui sent la carte Hallmark et la finale de film de Disney à la « il faut ouvrir votre esprit, les enfants, et accepter les amis différents et vous prendre tous par la main et danser la danse de l’harmonie entre les humains ». Fuck you, le plus beau voyage.

Puis, toutes les lumières se mettent à allumer en même temps sur le tableau de bord. 
« Ma fille va mourir avant d’avoir 30 ans.»
« Ma fille va être tout le temps malade et souffrir constamment. »
« Ma fille ne pourra jamais être amoureuse de quelqu’un qui l’aime. »
Et ainsi de suite la valse de la joie-de-vivre…

On repart de l’hôpital dans un état, disons, pas super. Avec deux milles rendez-vous avec des spécialistes à l'hôpital pour enfants: le coeur, les yeux, les oreilles, les gènes, alouette!...
Bienvenue en Mongolie.
J’ai l’impression d’être aussi bien équipée pour affronter les mois, que dis-je!, les DÉCENNIES à venir que si je me trouvais devant le désert de Gobi et m’apprêtais à le traverser en pédalo.

Suivent plusieurs jours à pleurer comme des fontaines. Littéralement. Je ne pensais pas contenir autant d’eau même si je savais que mon corps en était constitué à 85%. De quoi faire flotter le pédalo…

Suivent des montagnes russes d’émotions et d’aventures au fil des jours.

Suivent, à ce jour, 7 mois et quelque de vie.

La phrase parfaite à écrire ici serait « Suit surtout une magnifique petite fille qui nous remplit d’un bonheur tellement grand et beau que j’ai le cœur qui exagère à chaque fois qu’elle cligne des yeux ou qu’elle sourit. » Mais je n’aime ni les phrases parfaites, ni les bons sentiments qui puent les fleurs bleues en spray qu’on met dans les salles-de-bain. Alors je ne l’écrirai pas, bon. Même si c’est vrai.

Suivent, à ce jour, donc, 7 mois et quelque de vie et beaucoup de recherche d’information, de lecture et de rencontres qui m’ont surtout fait réaliser que je ne connaissais absolument rien à propos de la trisomie.

J’ai décidé de faire ce blogue pour toutes sortes de raisons, dont celle-là. Parce qu’il y a peu d’information disponible, en français, sur ce que c’est que d’être le parent d’un bébé trisomique. Je partagerai donc des bouts de ce que je vis mais aussi de ce que je lis et apprends et découvre. Ça se peut que je dise des niaiseries. Ça se peut que je dise des mauvais mots. Ça se peut que ce ne soit ni pertinent, ni intéressant. Mais peut-être bien. Et tant mieux si ça peut un peu aider quelqu’un d’autre à se sentir moins fou et déboussolé et bassement humain. Join the club : je peux vous le dire d’avance.

Mais j’espère surtout que ce blogue sera lu par des gens qui ne sont pas des parents d’enfants trisomiques. Des gens qui, comme moi il y a peu de temps (et même encore un peu maintenant : c’est pas comme si j’avais eu une lobotomie…), pensent qu’un trisomique, c’est un visage rond qui parle croche et bave beaucoup, est trop affectueux et nous met mal à l’aise même si c’est donc supposé être « des vrais petits rayons de soleil, ces gens-là ». Tout le monde a le droit d’avoir des préjugés. Et tout le monde a la chance d’aller au-delà et de découvrir de quoi il retourne vraiment, dans la vraie vie, en 2012 (parce que les choses ont bien changé!). Voici donc ma vision. Rayons de soleil, mon oeil! (Ben non... Ben non... c'est une blague! Ne partez pas déjà!...)

Je ne détiens ni la Vérité ni le Trisomique-modèle qui doit servir de référence et d’étendard pour le Monde. Je n’ai pas la prétention de changer des vies ou d’éclairer la Société pour que nous dansions tous la farandole main-dans-la-main dans quelques temps.

J’ai une histoire qui commence à peine. Qui m’a déjà beaucoup secouée et fait réfléchir et bûcher et grandir et parfois pisser de rire. Je ne sais pas où elle s’en va mais, pour ceux qui sont curieux, je vous invite à la suivre.

Voici mon voyage à moi : la Mongolie en pédalo.
Bienvenue à bord. Je ne vous promets rien…


5 commentaires:

  1. Mon premier emploi a été celui de moniteur dans un camp de vacance bien spécial, le camp Canawish de Rivière-Ouelle. Je travaillais en déficience intellectuelle légère. Mes campeurs étaient à 55% des trisomiques jeunes et adultes. Moi qui venait d'un p'tit village de 600 personnes incluant le bétail, je n'avais jamais côtoyé de p'tits mongols avant. Cet été fût le plus marquant de ma vie. À 16 ans, je ne peux pas dire que je m'émerveillais à grand chose. Un an plus tard je faisais comme eux. Je serai toujours reconnaissant à Martial taquin ( qui donnait des coups de casquette d'Expo sur la tête en regardant loin devant et en disant: " Martiallllll, Taquinnnnn!!!!) et à Victor qui arrêtait toujours tout ce qu'il faisait lorsqu'il voyait passer un oiseau en plein vol pour ensuite tenter de le suivre avec ses p'tits bras en ailes déployées.

    Mais même si j'ai adoré leur compagnie, même s'ils ont été pour moi des profs de vie extraordinaire, j'ai toujours eu une petite crainte de devenir le papa d'un de ces soleils entêté pour toutes les raisons que tu connais déjà.

    J'ai pleuré et fait pleuré ma femme tantôt en lisant à voix haute ton premier post en devant m'arrêter 4 fois pour reprendre mon souffle étranglé par l'émotion.

    Bon voyage en Mongolie, bon courage mais surtout, profite du soleil!

    Hugo Lévesque

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    1. Je tâcherai de me souvenir de ne pas acheter de casquette des Expos à ma fille, quand elle aura la tête assez grande. Merci pour ce conseil d'auto-défense et merci pour ton histoire! À bientôt, cher Hugo! xx

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  2. J'ai eu le lien de ton post par ma soeur (je sais pas trop comment elle t'a trouvé d'ailleurs :) :) :))
    Tes mots sont empreints d'authenticité, merci pour le partage!
    Nous sommes presque voisines :) J'habite à Chesterville!
    Je te laisse mon blog, si tu veux y jeter un oeil!
    www.lespasdanthonin.blogspot.ca
    Voici mon courriel: sonia_carter70@hotmail.com
    Si des fois ton pédalo prend l'eau, on pourrait en discuter autour d'un café :)
    Au plaisir de se rencontrer!
    Sonia

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    1. Allo Sonia!
      Merci pour ton message et merci à ta soeur d'avoir joué les entremetteuses!
      On se fait signe bientôt, c'est promis!
      amitiés!

      Suzanne

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  3. Je vous aime, toi et ta famille, d'amour! Mais ça, tu le sais déjà...

    Si tu savais combien ton café me manque :)

    Alex Pelletier

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